ArtKor Expo YannMinh

Exposition Yann Minh à la galerie Art-Kor à Avignon en Juillet et août 2002. www.body-art.net La gare TGV d'Avignon est une architecture contemporaine, en aluminium et verre, inspirée du galbe des nefs aéronautiques, et dans laquelle mes hôtes, Lukas et Sev, de Art-KØR, venus m'accueillir, s'inscrivent avec la pertinence d'une vision de SF Cyberpunk. Ils semblent s'être échappés d'un roman de Gibson ou du film Matrix. En passant sous le regard attentif des policiers surveillant le hall d'arrivée de la porte sud, je savoure le plaisir de la transgression facile d'être en la compagnie d'entités issues d'un futur rêvé il y a 20 ans.

Les tatouages, piercings et implants divers leurs confèrent une aura ambiguë de barbares futuristes.

Les Tatouages de Lukas Zpira résument une partie de l'histoire de la cyberculture.

Le bras droit de Lukas réfère aux désormais classiques entrelacs biomécanoïdes de Giger ou de Druillet.

Les à-plats épurés de rouge et noir du bras gauche évoquent les graphismes techniques couvrant les carlingues des vaisseaux militaires ou des robots des animes et mangas japonais.

Les deux créatures, tout droit issues d'une interpénétration surréaliste entre imaginaire et réalité, m'amènent directement à leur galerie, qui est aussi leur cabinet de modifications corporelles.

La galerie et les sculptures exposées évoquent les lieux d'exposition alternatifs d'Amsterdam, Oslo, Bruxelles, New-York, ou Berlin.

Les sculptures de robots y côtoient des collections sous verre de bijoux corporels, dont les profils acérés rappellent qu'ils sont destinés à pénétrer la peau, et confèrent à la galerie cette aura fascinante de barbarie médicale sado-masochiste souvent associée à ces nouvelles pratiques esthétiques.

La visite des salles de travail est un curieux mélange de froideur clinique professionnelle et de décorations transgressives, qui, dans un cabinet médical traditionnel, ferait fuir d'épouvante la plupart des patients.

La juxtaposition en ces lieux, d'outils médicaux professionnels et de sculptures animistes couvertes de clous, ou d'interprétations picturales morbides d'écorchés, ne peut pas ne pas évoquer les antres imaginaires de savants fous du cinéma ou du « Projet Pour Une Révolution à New-York » d'Alain Robbe-Grillet.

La propreté et l'ordonnance des lieux rassurent sur la volonté de respecter une rigueur médicale dans ces nouvelles pratiques de chirurgie esthétique alternatives.

Lukas me parlera d'ailleurs de cette ambiguïté légale dans laquelle se situe son travail artistique sur le corps, qui le conduit à pratiquer des actes assimilables à de la chirurgie légère.

Nous allons boire un verre dans les bars du centre ville. À chaque pas Lukas est interpellé et converse avec des connaissances. À l'opposé de l'imaginaire de violence morbide que son art évoque, Lukas est quelqu'un de très doux, sociable, et intellectuellement brillant.

Le contraste entre mes hôtes et leurs préoccupations tournées vers le futur, avec l'architecture d'Avignon et sa faune d'acteurs et de touristes venus pour le festival est fascinant. J'ai l'impression d'être projeté dans un de ces futurs rêvés, où des voyageurs temporels issus du futur et du passé se côtoient sous les murailles d'une cité médiévale.

Ce qui interpelle le plus lorsqu'on rencontre Lukas Zpira, et force l'impudeur d'un regard scrutateur vers son visage, c'est le réseau vertical de pas de vis implantés dans son crâne, sur lequel il a aujourd'hui greffé des petites pointes de métal qui s'alignent depuis le haut du front jusqu'à la fontanelle.

Lukas me racontera qu'un de ses grands regrets, est de n'avoir pas pu se faire implanter les pas de vis de « Joe », le premier homme de l'histoire à s'être fait greffer ce type d'implant, et qui s'en était débarrassé il y a quelques années.

Sev est belle, très belle. Mince et fragile, aux courbes d'adolescente, elle a des allures de femme guerrière de BD japonaise, et, outre les piercings et tatouages, c'est surtout sa coiffure qui attire mon attention.

Ses cheveux sont tressés en longues nattes colorées qui lui donnent des allures de gorgone moderne. Sev me rappelle l'incarnation moderne de l'héroïne de mon installation vidéo, Media ØØØ présentée au centre Pompidou en 1983.

Media ØØØ Yann Minh. 1982 Modéle Mireille Mallet. Tatouage techno, et Tresses évocant des cables informatiques, ou la chevelure des gorgones. Manque juste les piercings. Je rêvait de greffer des implants informatiques, mais faute de moyens j'avais laissé tomber... dommage.

© Yann Minh. 1995. Photo de l'installation MediaØØØ, présentée au musée d'art moderne du centre Georges Pompidou en 1983. Moulage biomécanique grandeur nature du modéle Mireille Mallet.

Rencontre étrange entre un futur rêvé il y a 20 ans et aujourd'hui, Sev m'évoque aussi mon illustration de Sthéno, la « troisième gorgone » réalisée pour le festival visions du futur 2001.

Sthéno ou la dernière frontière. Sthéno était l'une des trois gorgones. Meduse, la plus célèbre qui fut décapitée par Persée dans la mythologie grec, était la gorgone de la perversion intelectuelle. Euryale était la gorgone de la perversion sexuelle Et Sthéno était la gorgone de la perversion sociale

Nous parlerons d'art, de transgressions, de légalité, de la volonté des sociétés de garder la propriété de nos corps.

(L'automutilation et les pratiques pouvant porter atteinte à l'intégrité de notre propre corps sont toujours interdites).

Le lendemain nous installons l'expo, pendant que Leo, l'associé de Lukas, poursuit les greffes d'implants et de piercings divers.

Leo. Implant sous la peau d'élements décoratifs.

Sev prépare les infographies pour la mise sous verre.

Je me souviens seulement alors que l'affiche du festival d'Avignon de 1984 avait été faite à partir d'une photo d'écran de mon installation vidéo Media ØØØ et je regrette de ne pas l'avoir apporté. Coïncidence historique étonnante.

Affiche du Festival d'Avignon 1984, à partir d'un photo d'écran de l'installation MediaØØØ.

Je suis fasciné par Sev qui incarne en grandeur réelle l'esthétique Cyberpunk qui m'a toujours habité.

Comme les héros du roman Cyberpun "Le Samouraï Virtuel" de Neal Stephenson, Sev se déplace en Rollers, ce qui donne à ses déplacement une légerté et une fluidité surréaliste.

L'expo est prête. La presque totalité de mes infographies couvre les murs.

C'est la plus grande expo de mes infographies après Visions du Futur 2001.

Je suis très content d'exposer dans un des temples contemporain de la cyberculture.

Comme lorsque pour la première fois j'ai exposé mes oeuvres dans un festival de SF, j'ai vécu cette exposition comme un reconnaissance existentielle de mes créations par un milieu de jeunes auteurs contemporains qui vivent la cyberculture jusque dans leur chair.

Le vernissage a attiré un grand nombres d'acteurs de la cyberculture de la région.

Fin de l'expo. Les derniers boivent un verre dans la rue.