Nous sommes là pour produire du texte. Un long texte incontrôlable, parfois génial, parfois décevant, mais surtout, qui ne s'arrête pas. Vous êtes invités à porter vos contributions, à lire celle des autres très vite, avant demain si possible car la vitesse de défilement du texte impose un rythme soutenu. Un jour d'absence? Un week-end passé à tenter de toucher les manifestations du monde réel? Soit, mais quand vous reviendrez les sujets auront changé, votre nom aura disparu de la liste, chassé par les contributions plus récentes des nouveaux venus, ou des habitués tricotant leurs questions et leurs réponses avec les aiguilles du temps. Les contributeurs sont des noms suivis d'adresses, la discussion, un tas de petits livres durant quelques jours à peine. Quoi de plus triste qu'un post resté sans réponse, un point isolé dans l'arborescence du dialogue, qu'aucune droite ne croise? La plus petite unité de texte, l'atome de conversation côtoie les grands rhizomes déployés sur la durée inimaginable de plusieurs semaines, aux dizaines d'interlocuteurs.
Dire que vous n'existez pas... dire plutôt que vous existez, mais qu'ici, seules vos manifestations existent. Venez ici et lisez. On y parle de métaphores, de nombres transfinis, des apparitions littéraires le la propulsion supra-luminique. Aussi abstraits soient-ils, les sujets existent. Venez ici, écrivez, ajoutez votre texte aux autres textes. Vous verrez votre nom apparaître sur la liste, vous serez lu. Anaconda, ZeFrog ou Méduse penseront l'espace d'un instant que vous existez. Quoi d'autre? Rien.
Il y a trois semaines, Yann Minh n'existait pas. Il est apparu un jour, écoutez ce qu'il disait : me voilà! Un peu plus tard, son nom était lisible dans les grands arbres de la discussion, Yann Minh s'immisçait. Voici ce que je pense, disait-il. C'était il y a longtemps, trois semaines peut-être. Depuis, Yann est devenu sujet, titre de post, et les gens s'interrogent: qui est-il? que fait-il en ce moment même? va-t-il lire ceci, et y répondre?
Je suis arrivé ici quelques jours avant lui. Moi aussi, je disais me voilà, et voici ce que je pense. C'est drôle. Tous les noms de la liste étaient vécus comme une intimidation, la présence de grands aînés ombrageux, expérimentés, formant un réseau où je n'avais pas ma place. Aujourd'hui, je sais que ce réseau n'est en fait qu'un dessin, où des ombres anonymes laissent une trace pendant quelques jours. Personne n'a idée de qui est qui. Tous, nous sommes des émigrés temporaires sur une carte sans territoire.
Et c'est bien.
pfitou