Cela se passe dans le port de pêche de Lorient en Bretagne, au début des années 80. Lorsque la marée descend, les lamaneurs, chargés de veiller à l'amarrage des navires, doivent relâcher les bouts qui retiennent les bâtiments aux quais. Malheureusement un grand chalutier pour la pêche hauturière avait été oublié. La pauvre nef, prisonnière des filins trop serrés, s'était couchée, et avait embarqué suffisamment d'eau pour couler sur place. Comme résistant désespérément à son triste destin, l'énorme masse d'acier à moitié engloutie, restait accrochée aux amarres tendues à se rompre. Toute la population du port, dockers, marins, mareyeurs et armateurs, contemplait ce naufrage dérisoire à distance respectueuse, car dans une brutale contorsion serpentine, les câbles rompus risquaient de décapiter le téméraire. Les liens résistèrent et l'agonie du vaisseau s'éternisa dans une attente qui semblait ne jamais devoir finir.
Un pompier se porta volontaire. Il tronçonna les filins meurtriers et s'en tira sain et sauf. Libéré de ses entraves, le chalutier sombra, ne laissant émerger que le sommet de ses superstructures, symboles funestes en ce lieu, que les marins regagnant le port feignaient ne pas voir.
Quelques jours passèrent, le temps d'amener les puissantes grues qui extirperaient l'épave de son sépulcre marin.
L'anecdote informatique commence avec l'entrée en scène de l'assurance. En effet la valeur des équipements de passerelle est loin d'être négligeable, et les assureurs tenaient à ce que tout soit fait pour sauver le maximum d'électronique embarquée. Tant que le bâtiment était submergé, le matériel restait intact. Mais dés qu'il retrouverait l'air libre, l'oxydation provoquée par le sel allait ravager les composants.
Une stratégie spectaculaire fut mise en place pour sauver les milliers de petites puces prisonnières de la passerelle engloutie, chaque minute allait compter. Les pompiers, leurs réservoirs remplis d'eau douce, se préparèrent à asperger l'épave dés sa sortie des flots. De grands bacs remplis de fréon liquide furent installés sur le quai. Et les grues commencèrent à tracter lentement l'énorme carcasse hors des profondeurs. Armés de leurs outils les techniciens en maillot de bain, sautèrent sur les bordages à peine émergés, et se ruèrent vers la passerelle sous le jet puissant des lances à incendie. Rapidement, mais sans précipitation, ils arrachèrent les radars, les compas,les radios, les sonars et autres instruments de leurs logements, pour les lancer à leurs comparses postés le long du quai. Ceux-ci démontèrent les appareils dans les bacs de fréon, et, à l'aide de gros pinceaux frottèrent les cartes pour les débarrasser des résidus d'eau salée.
Ils réussirent à sauver le tiers des équipements. L'électronique arrachée du naufrage pu reprendre sa petite vie électrique, et les techniciens gardèrent de ces journées une belle histoire à raconter à leurs petits enfants de l'ère informatique.