je venais d'entrer à l'ENSAD à paris où avait été installé un studio de production vidéo unique au monde à l'époque dans une école d'art..
Et, chose incroyable, pour quelqu'un habitué à la misère des écoles d'art, nous avions l'autorisation de partir en week-end avec le très coûteux et précieux ensemble de tournage semi pro U_Matic de l'atelier vidéo, sans même devoir rendre des comptes aux enseignants sur l'usage qu'on comptait en faire.
C'était tellement étonnant pour moi, que j'étais persuadé que le concierge ou une autre autorité allait m'empêcher de sortir de l'école avec le matériel le premier vendredi soir. Aussi j'étais descendu de l'atelier avec en main uniquement ce que je pouvais porter et qui était nécessairel, c'est à dire la caméra et le magnetoscope. Je n'avais pas pris le gros et encombrant pied en bois de cinéma équipé d'une tête fluide Miller.
Lorsqu'on a accès pour la première fois à ce type d'équipement, que j'appelle des nooscaphes, on va d'abord filmer ce qui nous parait exceptionnel.
Qu'est ce qui était essentiel pour moi à l'époque en 1979 ? C'était ma relation amoureuse et sexuelle BDSM avec mon amie nantaise C.
Je voulais filmer une scène de flagellation, car les pratiques sadomasochistes étaient encore secrètes et cachées, et nous pensions vivre des relations sensuelles uniques, voir interdites et illégales.
J'ai vidé la chambre de l'appartement que me louaient mes parents au premier étage d'une tour boulevard Arago. J'ai relevé le sommier en métal du lit contre le mur. Et j'ai artistiquement attaché en croix C avec plusieurs cordelettes de coton.
Mais, au moment de filmer, j'ai réalisé que je ne pouvais pas, à la fois tenir la lourde caméra monotube Sony 1640 de l'atelier vidéo, et fouetter C.
Et c'est la que le destin est intervenu pour m'aider à réaliser cette prise de vue.
C. ligotée en croix patientait pendant que je cherchais une solution, lorsque le téléphone a sonné.
C'était une autre amie bretonne de Lorient, F. qui m'appelait de la Gare Montparnasse.
-"Bonsoir Yann, je fais mes études à Paris, et j'aurai bien aimé passer te voir ce soir".
-"Super! tu tombes bien, car j'ai justement besoin de quelqu'un pour fouetter une amie".
-"... !!! ah non, je suis désolée, mais ce n'est pas vraiment mon truc ce genre de chose."
-" oui.. mais.. c'est pour tourner un film, j'ai emprunté la caméra de mon école, mais j'ai oublié de prendre le pied, et il me faut quelqu'un qui tienne le fouet.".
-"ah d'accord, si c'est pour un film ça va.. mais juste pour filmer hein..."
Je crois que c'est à ce moment la que j'ai vraiment compris l'aphorisme de Marshall Mac Luhan... "le message c'est le médium"..
Je venais de percevoir le prodigieux pouvoir des outils de production audiovisuel.
Le fait, que cette mise en scène érotique était destinée, non pas à assouvir notre seule sensualité, mais à une propagation mémétique dans la noosphère via un outil de communication de masse changeait fondamentalement la signification de l'acte pour F.
(Ce qui peut paraître une évidence formulé ainsi, mais ne l'était pas pour moi à ce moment.)
Une demi-heure plus tard, après que F nous ait rejoins, je me suis installé assis dans le coin de la chambre, la caméra calée contre ma cuisse et ma hanche, j'ai mis une cassette U-Matic de 20 minutes dans le portable posé à côté de moi, j'ai braqué l'objectif vers C et j'ai déclenché l'enregistrement, F a commencé à fouetter timidement C.
L'oeil rivé sur le viseur j'ai dis à F de faire des mouvements plus amples, comme dans les films, sans réaliser que le fouet qu'elle utilisait était un vrai fouet de cocher ramené de bretagne et qui pouvait vraiment faire mal et blesser.
Accaparé par la captation vidéo je n'ai pas vu le temps passer, et C s'est laissée fouetter par F jusqu'à ce que la K7 s'arrête en fin de bande, au bout de vingt minutes de flagellation plus sadomasochiste que BDSM.
Je me suis levé et j'ai formulé la phrase consacrée de ce type de rituel noosphérique : "Coupez.. elle est bonne".
Et C s'est effondrée, évanouie, juste maintenue par ses liens.
Paniqué je me suis précipité pour la soutenir en essayant vainement de défaire les noeuds. J'ai crié a F de faire couler un bain, j'ai attrapé un cutter et méthodiquement tranchés les liens en m'efforçant dans ma fébrilité de ne pas la blesser accidentellement.
C est progressivement revenue à elle dans la baignoire. Une fois remise, à peine séchée, elle a sauté sur F pour poursuivre la relation sensuelle métaphorique amorcée par la mise en scène, mais pour F il n'était plus question de faire quoi que ce soit en dehors des prises de vues. Et C a été encore plus frustrée de cette séance de flagellation qui ne s'est même pas terminée par la gratification sensuelle espérée. Au bout d'une semaine les traces de fouet avaient disparues
Dix ans plus tard, en 1990 à l'occasion de la réalisation de mon court-métrage
Cx-Fin , j'ai montré les rushs de ce tournage à
Maitresse Françoise qui s'est écriée dès les premières secondes.
" Mais... c'est un vrai fouet, et elle tape vraiment! tu es fou! ... tu ne dois pas faire les choses comme ça!"
Eh oui... nous faisions les choses intuitivement, sans cadres, conseils ou expérience partagée... maintenant heureusement, depuis que le BDSM s'est popularisé, on peut aller acheter des fouets qui permettent de faire des mouvements spectaculaires sans blesser.