PREMIER VOYAGE
AVEC THANATOS
texte écrit pendant le festival de vidéo des canaries. En 1989.
Portrait de Catherine C. Inachevé, au moulin de Poblaye, autour de 1979. Sanguine, crayon . A2.
Quand tu as vingt ans tu te crois immortel. Ivre de jeunesse, tu tavances face aux vagues, sans te douter que bientôt tu nauras plus pied, et que tu ne sauras peut-être pas nager.
Comme une digue dans la tempête, jai encaissé la violence de la nouvelle de sa mort.
Mon amour denfance, celle qui avait rompu avec moi les premières limites, sétait suicidée dans la chambre dun hôpital de province. Les larmes affleurent, mais mon désespoir ne veut pas éclater.
Plus que jamais, locéan me fait penser à un animal immense, se ruant rageusement contre les murailles élevées par les hommes pour le contenir. Lair est imprégné décume, et limpact des assauts marins ébranle les soubassements de la cité. Je suis dans un bar encastré sur le flanc du petit port. Les vagues au large sont tellement hautes quelles semblent devoir submerger la ville. Les bords des falaises sont pleins de curieux contemplant le spectacle de cette mer en furie. Frêles silhouettes face à la violence liquide se pulvérisant sur le granit.
Étrange, comme cette crise en moi coïncide avec la furie océane. La tempête fut à la fois sur les îles et dans mon esprit.
Pourquoi ceux que jaime sont-t-ils habités par ce romantisme de la mort?
Lasse de survivre, elle sest suicidée en avalant une bouteille dalcool à 90° et des barbituriques.
La volupté de sabandonner au néant par vengeance, dernière rébellion face à ce monde qui nous blesse chaque jour davantage.
Ce monde où survivre devient lessentiel ; pas de temps pour autre chose que sa propre existence.
Larmure qui me protège sest endurcie. LAnkou est devenu mon compagnon et nous faisons route ensemble pour le pire.
La mort de lautre est une vague de souffrance dont il faut apprendre à endiguer la brûlure, le flot douloureux de souvenirs et de tristesse qui nous tourmentera à jamais, car nous sommes leur immortalité.
Quelle est cette habitude inscrite dans notre esprit qui provoque ce manque face à la mort ; pourquoi leur absence doit-elle devenir si douloureuse ?
On souffre de tout ce qui ne sest pas dit, de tout ce qui ne sest pas fait. Elle est morte, suicidée, partie, comme si je lavais abandonnée pour men aller, loin, dans une autre ville, une autre vie. Sa mort est comme un dernier cri quelle a lancé par-dessus les océans un dernier cri à tous ceux qui lont connue et qui lont abandonnée dans labsence de cette ville sans issue. Je voulais fermer les yeux, ne pas voir tellement je savais que la douleur allait me faire souffrir, et maintenant je pleure sa disparition.
Jaurai aimé pouvoir laider. Pouvoir lui faire découvrir dautres cités dautres gens. Lui faire oublier cette souffrance cachée qui la consumée petit à petit.
Je lai trahie, par faiblesse, jai dû surmonter des ouragans alors quelle sengloutissait dans leau plate dun lac immobile.
Je repense aux jours heureux, lorsque lavenir était trop loin pour quon y pense.
La conscience, dit Bergson, cest la capacité dimaginer le futur en fonction du passé. Nous étions inconscients, et heureux dans cette ville de province si calme, si tranquille...
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