METAPHORES SEXUELLES
EN ART ET AU CINEMA
Propos de Yann Minh, recueillis par Karen Guillorel alias Noonk en 2002 pour Chasseur de Rêves, et réactualisé/rectifié/augmenté le 2 décembre 2006 pour le site web.
Toute oeuvre humaine de communication est de nature métaphorique. Comme des poupées russes, les objets informationnels qui habitent la noosphère sont des imbrications sophistiquées de métaphores ayant différents niveaux de profondeur. Par exemple, les mots verbalisés sont les métaphores d'entités conceptuelles, les mots écrits sont les métaphores des mots verbalisés, les syllabes sont des métaphores de sons, les phrases sont des métaphores de concepts, et ainsi de suite. Confrontés à un objet informationnel, nous traitons/interprétons/traduisons presque instantanément une hiérarchie complexe de métaphores imbriquées. Alors bien sur, on pourra débattre de la pertinence de mon utilisation du terme métaphore, et lui substituer selon le contexte une kyrielle de propositions, comme métonymie, hyphallage, analogon, symbole, allégorie, emblème, mème, sème, mimétisme etc ...
Le terme de métaphore a ma préférence, car j'y vois non seulement un procédé linguistique, mais aussi et surtout un processus conceptuel structurel et fondamental situé pour moi, à la source ou en amont de la plupart des activités cognitives du cyborg que nous sommes. Pour revenir aux métaphores sexuelles dans nos oeuvres informationnelles, certains artistes exploitent consciemment les différents niveaux métaphoriques imbriqués, en particulier dans le cinéma, où certains auteurs utilisent un système de "double narration métaphorique". Le réalisateur le plus célèbre à avoir maîtrisé ce genre de double narration c’est Hitchcock. Hitchcock va composer formellement l’organisation de sa mise en scène à l’intérieur de l’écran en introduisant des jeux formels signifiants. Soit des métaphores, soit des analogies graphiques qui induisent un sens.
Et cela, il le fait de façon totalement consciente et maîtrisée.
A l'opposé, et faute de témoignages explicites sur le sujet, il n'est pas du tout certain lorsque Napoléon veut faire défiler son armée sous un Arc de triomphe qu’il soit conscient de jouer avec une métaphore sexuelle : L’arc de Triomphe est un archétype féminin, vaginal, et l’armée devient, bien sûr, l’extension métaphorique du phallus de Napoléon.
Illustrations et affiches de Philippe Druillet.
“L’érection” de l’obelisque dans l’axe de l’arc de triomphe est aussi un jeu métaphorique explicite, mais il n'est pas prouvé que les urbanistes qui ont imaginé l'implantation de l'obelisque au centre d'un large ovale vulvaire et dans l'axe d'un arche étaient parfaitement conscients des analogies formelles qu'ils faisaient, et il n'est pas non plus certain, lorsque le Pacha d'Egypte Muhammad Ali offre cette pièce monumentale vieille de 3 300 ans en 1831 à la france, qu'il a conscience d'ôter à la "porte" du temple de Luxor une partie de sa complétude sexuelle ... quoique : - Le Pacha d'Egypte avait aussi offert à la France le piédestal du second obélisque du temple de Luxor, lequel piédestal n'a pas été installé car Louis-Phillipe avait peur de choquer le public Parisien. En effet, ce piédestal qui est exposé au Louvre, représente quatre créatures dites cynocéphales adorant le soleil et surtout sexuellement très impudiques. Ce qui tend à prouver que la dimension sexuelle de ces monuments était au moins connue, ne serait-ce que de la part des égyptiens eux-mêmes. http://www.insecula.com/oeuvre/photo_ME0000042542.htmlC'est aussi sur la place de la concorde que sera installée la guillotine à la révolution: métaphore castratrice érigée dans un ovale au centre de "LA" ville de paris.
Autre exemple plus proche de nous : lorsqu’un aviateur va s’efforcer, aux commandes de son objet volant phallique de passer entre les jambes de l’Arc de Triomphe, il contribue à un jeu ancien de mise en abîme métaphorique. Mais ce n’est pas certain qu’il le fasse consciemment, on peut même se demander si, au contraire, vu la prise de risque que cela représente, s’il n’est pas “manipulé” par la “puissance” de la métaphore.
Car nous pouvons être gouvernés par l’emprise de certaines métaphores, comme les armes, les automobiles, les outils en général comme l'explique Marshall Mac Luhan dans le chapitre sur "la narcose narcissique" de son livre "Pour comprendre les media".
Bien sûr il n’y a pas que des origines sexuelles dans nos jeux métaphoriques, par exemple la cité de la musique de Christian de Portzamparc est une métaphore instrumentale. Et il existe un très riche répertoire en art de métaphores du corps ou du visage, en particulier en architecture, ou en design automobile...
mais les métaphores sexuelles sont pour moi les plus amusantes, les plus dérangeantes, et les plus faciles à identifier et à mettre en exergue...
Les métaphores sexuelles sont les plus structurellement déterminantes dans notre psyché, et ce dès l’origine de l’humanité, ainsi, je crois de façon un peu provocatrice, mais sans doute pas si impertinente, que le premier outil inventé par les ancêtres de l'homme n’est pas la hache de guerre ou la massue. Le premier outil, et c'est sans doute une femme qui l’a inventé, pourrait être le godemiché : Une métaphore sexuelle, comme toutes ces sculptures ithyphalliques, ou autres représentations sexuelles explicites ou symboliques qui accompagnent l’humanité dans son évolution depuis ses origines et qui ont souvent été occultées par notre histoire de l'art.
http://www.hominides.com/html/dossiers/femme_prehistoire.html
Par exemple, récemment on a découvert dans la grotte de Hohle Fels près d'Ulm dans le massif du Jura ce qui a été authentifié comme un godemiché préhistorique vieux de -28 000 ans. Il existe aussi dans les grottes de Chauvet et de Gargas datant du gravettien (- 27 000) des représentations vaginale sculptées en creux, ou exploitant les failles naturelles.
-30 000 ans c'est récent dans notre histoire, la datation des premiers bifaces est évaluée à plus d'1,5 millions d'années, et ils ne se prêtent pas à une utilisation sexuelle, sinon sado-masochiste :-) cependant il me semble que l'identification et la recherche d'outils archaïques a vocation sexuelle n'ait pas été faite, la multitude de silex taillés ayant peut-être occulté la présence d'outils moins contondants ?
Mais sans aller aussi loin dans les zones de spéculations incertaines d'une lointaine préhistoire, autour du néolithique on peut identifier deux archétypes sexuels fondamentaux, qui sont le menhir phallique, et le dolmen vaginal : la pierre dressée et l’arche.
Archétypes fondamentaux qui se perpétuent au fil des âges dissimulés sous plusieurs générations de sophistications formelles et techniques.
Comme dit Bachelard : “L’amour est la première hypothèse scientifique pour la reproduction objective du feu, et avant d’être le fils du bois, le feu est le fils de l’homme....”
De nos jours, la plupart des artistes, créateurs, designers, cinéastes professionnels maîtrisent très volontairement ce type d'analogies formelles, sans que pour autant il soit nécessaire d'investir cette démarche d'une dimension psychanalytique ou freudienne inconsciente.
affiche de Philippe Druillet.
En effet les jeux d'analogies formelles liés à notre sexualité, préexistent à Freud et Jung en art, car la symbolique sexuelle est structurelle de la noosphère alchimique, magique, divine, et cela certainement dès la préhistoire.
La symbolique phallique des tours qui inspire souvent les cinéastes (cf Vertigo d'Hitchcock) n'échappe pas non plus aux architectes et aux constructeurs qui exploitent souvent les analogies formelles sexuelles, comme la fameuse tour "biocllimatique" Agbar de Jean Nouvel à Barcelone.
Dans un excellent documentaire (Berlin Germania, la capitale rêvée d'Hitler d'Artem Demenok) l'architecte Léon Krier ( http://zakuski.math.utsa.edu/krier/) souligne le fait qu'Hitler était plutôt fasciné par les métaphores féminines comme le sein gigantesque du dôme du palais du peuple d'Albert Speer, alors que Staline préfèrait les métaphores phalliques comme la tour du projet de palais des soviets de Boris Iofan, piédestal monumental pour une statue de Lénine de 100 m de haut...
Hitler et son architecte Speer, envieux de la beauté architecturale de Paris envisageaient donc plutôt de mettre un sein dans l'axe d'une vulve pour le grand axe nord sud du projet Germania, alors que la France avait optée depuis longtemps pour la modernité avant-gardiste d'une tour Eiffel hermaphrodite.
affiche de Philippe Druillet.
Vous du métro
Dans le soir avec mes yeux phosphore orage
C'est moi que les collégiens de leurs mains ivres
caressent sans savoir pourquoi
Ils lèvent leur front lourd les enfants des péniches
La balle échappe à leurs doigts gourds
Quand le fleuve en passant baigne mes pieds et chante
Voici la grande femelle bleue
La dame au corsage de jalousie
Elle est tendre Elle est nouvelle
Ses rires sont des incendies
Vois nos mains traversées d'alcool et de sang bleu
Laisse-nous respirer tes cheveux de métal
Mais accroupi dans mes jupes
Que fait près de moi ce régime de bananes
Paris paysage polaire
Mon corps de levier dans le vent chaud
Le sentez-vous Comme il est noir
Femmes léchez mes flancs d'où fuit FL FL
Le bulletin météorologique
Messieurs posez vos joues rasées
Contre mes membres adossés aux cieux
Où les oiseaux migrateurs
Nichent
Louis Aragon, "La tour parle",
Dans La tour Eiffel de Robert Delaunay, Ed. Jacques Damaser.
La tour Eiffel, qui est une entité noosphérique androgyne, à la fois féminine (arche) et masculine (tour) est une source d'inspiration métaphorique pour les poètes, mais pas seulement, Gustave Eiffel avait aménagé à son sommet une garçonnière dans laquelle la légende raconte qu'il y invitait ses amantes.
On trouve aussi dans la peinture classique et religieuse, surtout à la renaissance, des métaphores sexuelles dont il est difficile d'imaginer qu'elles soient involontaires ou inconscientes.
L'une des plus connue et facile a décrypter est la métaphore homosexuelle du martyr de Saint-Sebastien, qui est devenu le saint des homosexuels. (allégorie, emblème, symbole fonctionnent aussi pour désigner ce type de représentation)
Il n'y a pas que dans la fresque de la Cene de Léonard de Vinci (popularisée par le roman Da Vinci Code) que Jean parait curieusemement éfféminé, Dans la plupart des représentations de la Cène à la renaissance, Jean est ambigu et son attitude vis à vis du Christ relativement équivoque...
Dans certaines peintures les métaphores sexuelles sont explicites comme chez Botticelli
Ou Jérôme Bosch, dans son fameux triptyque du Jardin des Délices
Hélas comme Jérôme Bosch n'a pas laissé de mode d'emploi cela nous oblige à interpréter la signification de ses compositions.
L'écueil étant de faire de la "surinterprétation" des intentions de l'artiste, et de projeter à "postériori" une interprétation métaphorique ou symbolique qui n'existait pas à l'époque de la création de l'oeuvre.
Ainsi, Alexandre Leupin dans un ouvrage passionnant mais controversé, invente le très joli néologisme de PhalloPhanies
pour décrire les représentations religieuses christiques comportant une sorte de crypto-phallus dissimulé dans les plis des tissus, ou dans le dessin de l'abdomen du christ.
Mais il est malgré tout difficile de ranger l'analyse d'Alexandre Leupin dans la catégorie des sur-interprétations tellement les exemples qu'il donne sont troublants.De mon côté, je classerais les Phallophanies dans le registre des détournements cachés, produits par les artistes dans des oeuvres de commande, comme en publicité, plutôt que les interpréter comme une volonté "officielle" cryptée... à la différence du cinéma, où cette démarche est volontaire et consciente autant au niveau des auteurs que des productions.
Le plus bel exemple de surinterprétation est cette fameuse erreur de Freud dans sa tentative très risquée de "psychanalyse" de Léonard de Vinci ("Un souvenir d'enfance de Léonard de Vinci").
Se basant sur une mauvaise traduction d'un texte de Vinci, où le mot "Milan" a été mal traduit par "Vautour" en allemand, Freud va construire un échafaudage conceptuel erroné qui l'amène a voir dans le sourire de la Joconde et dans le tableau "Saint Anne, la vierge et l'enfant" le sourire de la mère de Léonard et un vautour subliminal. (entre autre)
Afin d'éviter l'écueil de la surinterprétation, il est moins risqué d'identifier la présence de métaphores sexuelles volontaires et conscientes dans les oeuvres contemporaines, pour lesquelles il est relativement facile de vérifier les sources ou trouver de la documentation. De nos jours, les techniques symboliques ou métaphoriques liées aux images, aux représentations, sont connues de la plupart des professionnels et sont souvent exploitées en publicité.
Comme pour la peinture religieuse au moyen age théologique, dans notre société devenue marchande, la publicité est un secteur du traitement de l’image et de l’information où la gestion des symboles et en particulier des métaphores sexuelles est gérée avec particulièrement d’attention, et aussi un certain humour complice.
Les enjeux économiques derrière l'élaboration de certaines images sont tels que les graphistes, les directeurs artistiques, les concepteurs en théorie ne sont pas censés laisser passer des symboliques non maîtrisées, ne serait-ce que par ce qu’elles pourraient desservir le propos du message.
Mais contrairement à ce qu'on pourrait penser, la réalité quotidienne de la production de réclames et de publicités est très loin des théories scolaires enseignées dans les grandes écoles d'art et de communication.
Laid by the best
La plupart des jeux sexuellement métaphoriques et subliminaux qu'un spectateur ou lecteur éclairé peut identifier, n'ont pas été élaborés dans les alcôves secrètes de ces occultes et mythiques laboratoires en sciences de la propagande qui informeraient les publicistes sur le taux de pénétration de leurs réclames à l'aide de tout un arsenal scientifique sophistiqué comme le fameux eye tracking qui nourrit beaucoup de fantasmes scientistes sur la publicité.
Jean-Marie Vives
Quand ce ne sont pas des blagues potaches anecdotiques, ces jeux subliminaux métaphoriques (en dessous du seuil de conscience) sont souvent le fait des artistes, (réalisateurs, graphistes, photographes) qui réalisent l'objet publicitaire, et ceci le plus souvent à l'insu des agences et du client qui lui, de toute façon, ne veut qu'une seule chose, c'est qu'on voit son produit le plus possible et n'en a souvent rien a faire de toutes ces subtilités informationnelles.
Jean-Marie Vives
Donc, paradoxalement, la publicité est sans doute le secteur noosphérique dans lequel ces jeux subliminaux sont les moins volontaires au contraire des arts plastiques et du cinéma où, comme je disais, la référence est Hitchcock.
Il en a peu parlé, mais là où on a une preuve de sa conscience de ces jeux symboliques c’est dans l’interview Hitchcock-Truffaut où Hitchcock affirme: - “La fin la plus impertinente que j’ai tournée, c’est la fin de “La Mort Aux Trousses”. Pour ceux qui ne s’en rappellent pas, son film se termine par l’entrée d’un train dans un tunnel, alors que les deux héros s’enlacent sur la couchette de leur wagon.
(Fin peut-etre inspirée du court metrage The Kiss in the Tunnel (1899) de George A. Smith (1864-1959) d'après le blog de "Sandrine" :
http://contrechamp.kaywa.com/200611)
Ce jeu métaphorique est tellement célèbre dans le milieu des cinéphiles, qu'il est devenu une sorte de "private joke" de réalisateur. Ainsi depuis "La Mort Aux Trousses", un train qui entre dans un tunnel au cinéma est souvent un clin d’oeil humoristique pour cinéphile averti : l’archétype d’une pénétration sexuelle. Hitchcock explique à Truffaut que c’était la censure qui l’obligeait à traduire les actes sexuels sous forme de métaphores. Et Truffaut commente ses propos en affirmant que cette obligation de contourner métaphoriquement un interdit social à enrichie le cinéma.
C’est une relation perverse à la censure très créative, même s’il n’y a heureusement plus besoin d’être sous le joug d’un gouvernement totalitaire pour jouer avec les métaphores, lesquelles poétisent et enrichissent le discours, puisqu’elles induisent une relation cognitive plus complexe qu’une image ou un scénario explicite. La pornographie par exemple est souvent une imagerie explicite non métaphorique moins jubilatoire conceptuellement qu’une image métaphorique qui fait beaucoup plus travailler les capacités cognitives. Mais ce n’est pas sa vocation.
Mais Hitchcock n'est pas le premier cinéaste qui exploite la veine des métaphores sexuelles. Méliès dans son film "Le voyage dans la lune" fait office de grand précurseur.
En cinéma comme dans les pulps de SF des années 40, on ne compte plus les scènes représentant des jeunes femmes ligotées sur des rails de chemin de fer, ou sur le tapis roulant des scieries, ou enlevées par des monstres terrifiants, dont le plus célèbre est certainement King Kong et dont le remake par Peter Jackson n'a rien a envier à l'original en terme de mise en abîme sexuellement métaphorique.
Mais, outre King Kong, pour moi les exemples les plus jubilatoires de films structurés autour de métaphores sexuelles sont Alien 1, Alien IV, Blade Runner et Matrix 1.
ALIEN 1
La structure métaphorique d’Alien, c’est la violence de la quête de pénétration sexuelle masculine : Le monstre étant le phallus et Ripley, la femme étant sa cible. Il y a beaucoup d’indices dans le film qui indiquent que ça a été fait consciemment par l’équipe de réalisation ne serait-ce que depuis la genèse du film. Le choix de la forme du monstre par exemple est amusante à détailler. Quand Dan O’Bannon et son équipe vont chercher la personne qui va fabriquer le monstre, ils vont précisément porter leur choix sur une peinture de Giger qui représente un monstre dont la queue est un énorme phallus.
Depuis le début il y a une volonté de la part de l’équipe de réalisation d’introduire une symbolique sexuelle dans le film. Et ils ne s’en sont jamais caché puisque les oeufs, la naissance du monstre à l’intérieur du ventre de la sa première victime, nous renvoient clairement à l’enfantement et la grossesse. La pénétration buccale de la queue du premier monstre fécondateur etc... sont des métaphores ou des analogies particulièrement explicites qui n’ont pas échappées à la plupart des spectateurs du film.
Là où ça devient jubilatoire, c’est qu’il y a d’autres symboliques dans le film qui ne sont pas immédiatement perceptibles, et qui confortent la certitude que ce jeu métaphorique a été maîtrisé par les auteurs. Curieusement, on a tendance à les occulter ou à ne pas vouloir les voir. Ainsi il m’a fallu plusieurs visions pour commencer à identifier certaines manipulations formelles, qui sont plus complexes et donc moins visibles au premier abord, mais qui, une fois qu’on a la clef, deviennent évidentes et même presque lourdes.
Ce qui semble induire qu'il existe dans notre esprit un processus d'occultation formel, sans doute culturel, qui nous empêche d'identifier certaines couches métaphoriques.
La scène la plus caractéristique est la scène où Ash le robot va simuler le viol de Ripley avec un magazine pornographique. Le spectateur interpréte souvent cette scène comme une tentative du méchant d’éliminer l’héroïne. Sauf que la procédure utilisée est peu crédible s’il s’agissait d’éliminer quelqu’un, car d’habitude au cinéma on utilise des outils plus efficaces: Pistolet, couteau... Que fait Ash? Il attrape Ripley, il la jette sur une couchette entourée de photos de pin-ups, Ripley reste allongée, tétanisée, la bouche ouverte, et Ash prend un magazine qu’on suppose pornographique, le roule en tube et l’enfonce dans la bouche de Ripley qui ne se dégage pas, et Ash simule littéralement une sorte de jouissance orgasmique. Puis il va se faire décapiter par Parker qui se retrouve aspergé du sang du robot qui est blanc, comme le lait mais aussi comme le sperme. Cette scène est la métaphore du viol de Ripley par Ash, à la fois par la décapitation/castration orgasmique de ash qui asperge son entourage d'une gerbe laiteuse, mais aussi par cette pénétration buccale métaphorique commise par le robot à l'encontre de Ripley, et dont Ridley Scott dit lui même dans le commentaire du DVD : - “I think it’s like that robots make love”. A ce stade de l’analyse, et malgré le fait que Ridley Scott lui-même assume ce jeu métaphorique, on m’oppose souvent que j'exagère et que je projette mes propres fantasmes sur cette scène.
Et la j’ai un contre argument béton que je pense être un des premiers à avoir décelé dans le film. Il y a en effet quelque chose dans cette scène (outre la remarque de Ridley Scott dans le bonus) qui confirme la volonté très consciente de l’équipe de réalisation et de Ridley Scott de lui donner une dimension sexuelle. Si on avance images par images on va découvrir un faux raccord dans le décor particulièrement significatif.
Lorsque Ash, au début de cette scène projette Ripley sur la couchette, on peut discerner les photos qui recouvrent les murs de l’alcôve, qui sont relativement anodines.
Dans les plans suivants, lorsque Ash pénètre dans l’alcôve à son tour, toutes les photos ont changé et ont été remplacées par des photos plus suggestives, en particulier de pin-ups déshabillées.
Le décor a changé dans la même scène alors qu’il devrait y avoir une continuité ; le décor a été transformé pour renforcer la symbolique sexuelle ou l’impact sexuel de cette scène. Bien sur, il y a de fortes chances que nous ayons affaire la à une ellipse de monteur. Sans doute qu'au tournage l'affrontement entre Ripley et Ash s'est déroulé entre plusieurs alcôves, et qu'en raccourcissant la scène cela a provoqué ce défaut de raccord décors. Mais cela n'infirme pas la redondance sexuelle des affiches de pin-up associées au jeu de pénétration buccale par magazine interposé.
D’autres exemples viennent conforter cette analyse, qui maintenant est devenu évidente et prête moins à débat qu’il y a quelques années. Ainsi l’Alien va attraper Lambert avec sa queue griffue qui lui passe entre les jambes et lorsque Ripley court dans les coursives pour leur porter secours, on entend les hurlements du massacre dans le monitoring du vaisseau. Si on écoute bien, des halètements qui font nettement penser aux halètements d’un coït animal ou d’un film pornographique ont été rajoutés sur la bande sonore.
De même, la façon dont la caméra descend entre les jambes de Ripley lorsqu’elle enfile le scaphandre pour se retrouver en contre plongée sur son entre jambe est relativement explicite, mais le plus drôle, c’est le plan qui suit : la mâchoire (phallique) de l’Alien qui s’allonge hors de sa bouche en suintant de la bave visqueuse ayant la consistance du sperme...
Mais il n’ya pas que des métaphores sexuelles dans Alien : La fameuse scène de la fin, où l’Alien est enfin tranquillement installé avec Ripley à l’intérieur de la navette, est une très belle métaphore, soit d’une naissance, soit d’une fausse couche, soit d’un avortement. C’est une scène relativement complexe au niveau dramaturgique. et cette complexité conforte la volonté métaphorique qui a présidé à son élaboration, car Ridley Scott aurait pu la raconter d’une façon techniquement plus simple donc moins coûteuse à produire.
Ripley va ouvrir le sas de la navette et provoquer ainsi l’aspiration de l’Alien vers le vide interstellaire, mais l’Alien se retient au bord du sas. Ripley tire avec un lance-grappin relativement phallique au niveau du nombril de l’Alien qui va être projeté par l'impact à l’extérieur. Mais le sas se referme brutalement et bloque le pistolet lance-grappin qui a échappé des mains de Ripley.
Tout cela pour obtenir une image métaphorique magnifique : l’Alien relié par son cordon ombilical à la navette: métaphore de l’enfant relié par son cordon ombilical au ventre de la mère. Et lorsque Ripley déclenche les réacteurs, pour expulser définitivement l’Alien, ce ne sont pas des flammes qui tombent vers la caméra, mais de l’eau.
Il y a aussi dans Alien 1 une scène presque subliminale qui se déroule au moment de la mort de Parker. Il faut avancer image par image dans cette séquence lorsque la mâchoire de l’Alien frappe Parker. On distingue clairement un plan curieux dans lequel la mâchoire de l’Alien perfore une espèce de pastèque organique remplie de boyaux.
Ce qui est intéressant dans ce plan très court qui compte dix images, c’est qu’on n’a pas le temps d’identifier ce qui se passe, on retient vaguement un effet de perforation. Et lorsqu’on l’identifie par un arrêt sur image, on se rend compte qu’il ne s’inscrit pas dans la continuité narrative du film. C’est quelquechose d’extérieur à la scène qui y a été rapporté. L’équipe d’Alien ne s’est pas embarassée de réalisme, dans le sens qu’ils avaient les moyens de se faire fabriquer un masque de Parker pour pouvoir faire une perforation plus réaliste. Là encore ils jouent avec des jeux graphiques symboliques et ça de façon totalement maîtrisée. Et c’est cette même maîtrise d’un second niveau de lecture, structurel de l’histoire qui me fascine. et qui est extrêmement difficile à manipuler quand on est réalisateur.
BLADE RUNNER
Un autre film qui me plait du fait des symboliques cachées qui structurent la narration et enrichissent le film d’une profondeur jubilatoire, c’est Blade Runner. Dans Blade Runner, la clef métaphorique c’est : oeil = oeuf = testicules. Les yeux et les oeufs jouent un rôle très important dans la mise en scène. Leur rôle le plus explicite se situe dans la scène du dialogue dans l’atelier de Sebastian avec Roy et Priss.
Son découpage est très particulier car Ridley scott fait d’étranges associations entre l’image des oeufs dans la bouilloire transparente, et le dialogue. Les plans sur les oeufs viennent un peu comme des pièces rapportées qui ne s’expliquent pas par la continuité dramaturgique.
Priss affirme à Sebastian : - “Je pense donc je suis” Roy répond : - “C'est vrai, montre lui”. Priss fait un salto arrière, attrape un oeuf en plongeant la main dans l’eau bouillante et le jette dans les mains de Sebastian qui se brûle avec. C’est une très curieuse démonstration du “je pense donc je suis” qui est une formule importante dans notre imaginaire collectif, et s’engager à démontrer le “ je pense donc je suis” dans une scène de film est un enjeu énorme. Or la scène que nous montre Ridley Scott est relativement dérisoire, et on peut se poser la question du rapport entre “ Je pense, donc je suis” et le fait de pouvoir plonger la main dans un récipient d’eau bouillante pour y saisir un oeuf brûlant. Je pense que c’est une métaphore sexuelle qui sert à faire passer un message précis, et qui aurait été totalement ridicule si Ridley Scott l’avait mise en scène de façon explicite. En apparence la quête des réplicants est de pouvoir dépasser les quatre ans de vie imposés par leur genèse artificielle.
Mais leur véritable motivation c’est l’amour et leur réalisation existentielle à travers une descendance. Ce qui est déjà induit par la relation charnelle explicite qui lie Roy et Priss. Notre immortalité à nous humains c’est l’immortalité métaphorique des enfants. Et ce que cherchent Roy et Priss c’est obtenir ce que leurs créateurs leur ont enlevé : la descendance. Mais ça aurait été relativement maladroit, ou lourd, de faire dire à Priss : “Chéri je veux des enfants”
Aussi Ridley Scott va induire cette quête existentielle des réplicants à travers des métaphores qui sont les yeux et les oeufs.
Cette maîtrise des analogies signifiantes est particulièrement explicite dans le début de cette même scène, ou Roy annonce la mort de Léon à sa compagne réplicante : Priss s’exclame : - “nous sommes idiots, nous allons tous mourir”. Roy répond en souriant : - “Nous ne mourrons pas” . Juste après cette réplique, Ridley Scott fait un gros plan sur les oeufs en train de bouillir qui ne se justifie pas par la continuité dramaturgique des événements, car nous n'avons encore jamais vu les oeufs et la bouilloire... c'est un plan "hors contexte" symbolique.
La scène se termine par l'évocation d'une orgie sado-maso entre les trois protagonistes de l’action où les yeux et les oeufs bouillants continuent de jouer leur rôle formel métaphorique.
ALIEN IV
Autre film que j’ai adoré pour ce second niveau de lecture métaphorique, c’est Alien 4, je dirais que la clé d’Alien 4 c’est l’apologie d’une homosexualité féminine castratrice. Dès le début le film met en scène une Ripley qui lutte de façon humoristique, non pas contre les monstres aliens, mais contre les “vrais” monstres : les hommes. Ce qui est induit dès les premiers plans du film dans la scène où elle flotte dans le caisson amniotique. Voix off de Ripley : - “Ma maman m’a toujours dit que les monstres n’existent pas ... les vrais monstres ... mais y’en a..."
Travelling arrière découvrant les officiers scientifiques groupés autour de la cuve cylindrique verticale et transparente dans laquelle flotte le clone dénudé de Ripley. Les mâles humains sont désignés dès le début du film et jusqu’à la fin comme étant les vrais ennemis de Ripley. Ripley, comme son égérie Call qui est incarnée par Winona Ryder, vont passer leur temps à castrer les hommes tout au long du film. Et en particulier Johner incarné par Ron Perlman, le surmâle hypersexué qui veut baiser tout ce qu’il trouve. Ainsi la fameuse scène du terrain de basket prend un sens symbolique explicite: La scène commence par un zoom sur le ballon qui rebondit entre les jambes de Ripley largement écartées. Ballon qu’elle projetera violemment entre les jambes du surmâle obsédé “Johner” afin de le rendre (sexuellement ?) inoffensif. Dans cette scène Ripley est une femme, mais elle démontre qu’elle peut sans faillir surpasser quiconque et en particulier les mâles pour ce qui est de mettre le ballon au panier...
Ah! Une autre métaphore sexuelle importante à citer c’est la plaie, la blessure de Call. La blessure de Call qui symbolise son sexe, et avec laquelle un peu tout le monde se met à jouer vers la fin du film, depuis Ripley jusqu’au monstre. D’ailleurs c’est très signifiant d’analyser comment est montée la scène où le monstre à la fin, l’enfant adoptif de Ripley, va s’attaquer à Call. Au moment où il s’approche de la gynoïde, le montage est très violent, très rapide, on s’attend à une conclusion brutale, et tout d’un coup il y a une sorte de ralentissement dans l’action, une douceur au moment où le monstre introduit presque délicatement ses griffes dans la plaie de Call. on est là encore de façon totalement volontaire, dans une symbolique sexuelle. La première scène du film qui a été tournée et ça je l’ai lu justement dans “Chasseurs de Rêve” dans l’interview de Jeunet (ref numéro 5), c’est la scène où Call va rejoindre Ripley dans sa cellule cylindrique pour la tuer. Call n’est armée que d’un couteau, métaphore phallique. Là encore, le choix du couteau est forcément volontairement symbolique, car pour éliminer Ripley il existe certainement dans ce futur des armes plus efficaces. Dans cette scène, Call commence par soulever délicatement avec le couteau le tissu recouvrant le sein de Ripley pour découvri une cicatrice verticale ... (et n’appelle t’on pas parfois le vagin, le sourire vertical ?) Le dialogue entre Ripley et Call est aussi très évocateur d’une relation homosexuelle sado-masochiste entre les deux femmes. La dominée c’est Call qui est prête à faire le sacrifice de sa vie et tout indique une relation de séduction entre les deux femmes, à tel point qu’on se demande si Ripley ne va pas embrasser Call. Et l’acte sexuel est symbolisé dans cette scène par la pénétration de la main de Ripley qui s’enfonce volontairement, très lentement et très sensuellement le couteau dans sa paume largement ouverte (provoquant un très joli bruit de suscion visqueuse) Au tout début il y a une autre scène qui est sexuellement très jouissive à interpréter c’est lorsqu’ils vont extraire l’Alien de Ripley, la façon dont les savants manient les pincettes et dont le monstre recroquevillé sur lui même est déployé hors dela plaie ressemble à l’extraction d’un phallus au repos hors de sa braguette... Oui je sais... j’exagère... Mais il faut regarder la scène attentivement en ayant cela en tête, et l’analogie devient évidente.
EVENT HORIZON
Ce n’est pas parce qu’on maîtrise et qu’on gère bien les métaphores que ça fait pour autant un film réussi. Par exemple un film comme Event Horizon qui aurait pu être une grande réussite, mais qui à cause du scénario n’a pas tenu ses engagements. C’est un film qui lui aussi joue, avec les décors, avec les jeux formels, sur les métaphores.
Je dirais que c’est un des rares films de science-fiction gothique où tous les jeux métaphoriques font référence à la religion catholique, avec des cabines spatiales qui ressemblent à des chapelles, des croix, des cryptes, et puis surtout beaucoup d’images presque subliminales qui sont, quand on les regarde image par image, sans doute parmi les images les plus excessives que j’ai pu voir en cinéma au niveau des représentations de barbaries sexuelles.
MATRIX
La clef de la double narration métaphorique dans Matrix c'est: l'initiation sexuelle sado-masochiste d'un jeune garçon. Mais je préfère vous laisser explorer tout seul le film avec cette clef narrative en tête... :-)
comme certains cinéastes, beaucoup d'artistes plasticiens contemporains jouent très consciemment avec les symboliques sexuelles dans leurs créations, comme Christopher Foss, Moebius,
Giger ,
Peintures deGiger.
Quelques artistes m'ont fait l'immense plaisir de m'autoriser à diffuser ici certaines de leurs oeuvres pour illustrer mon propos.
Philippe Caza
qui a d'ailleurs réalisé un pastiche satirique en BD à la sortie d'Alien 1 et qui met en exergue les métaphores sexuelles du film.
peintures de Philippe Caza.
Philippe Druillet
peintures et sculptures de Philippe Druillet.
Design de Philippe Druillet.
Jean-Marie Vives
"Matte painting" de Jean-Marie Vives pour un clip de Johnny.
Jeam Tag
Peintures de Jeam Tag
Hubert de Lartigue
Peintures de Hubert de Lartigue.
Alain Brion
BD Alain Brion.
En 2007 j'ai eu l'immense plaisir d'apprendre que le dessinateur Alain Brion, m'avait fait un clin d'oeil dans sa BD "Les insurgés d'Edaleth" éditée par Soleil, en y dissimulant une petite référence humoristique à ma noobsession analytique des métaphores sexuelles cachées... Ainsi cette vedette armée au profil presque explicitement phallique, s'appelle la MINH MACHINE... :-)
BD Alain Brion.
Bastien (B, Biomechanical artwork)
Lors du vernissage de l'exposition Venus Robotica au Cabinet des Curieux en 2009,
Bastien, de Bastien biomechanical artwork, m'a confié que sa dernière infographie était structurée volontairement autour d'une métaphore vulvaire...
Bastien (B, Biomechanical artwork).
Il ne faut donc pas sous estimer la capacité qu’ont les créateurs à la fois de longs métrages, comme les graphistes, les peintres et même les écrivains à savoir gérer et maîtriser les métaphores sexuelles dans leurs oeuvres.
C’est parfois dérangeant d’imaginer qu’on a peut-être été manipulé inconsciemment par des jeux métaphoriques cachés ou formels. Mais ce qui me plaît surtout dans ce petit survol des métaphores cachées dans les oeuvres d’art, c’est que ça nous renvoie à quelque chose de beaucoup plus fondamental qui est d'identifier les métaphores cachées présentes dans la réalité, dans mon quotidien et pas seulement dans les oeuvres d’art.
Ce qui est à la fois jubilatoire mais aussi intriguant c’est que lorsqu’on commence à essayer de décoder la réalité à travers ses métaphores, et bien cela fonctionne.
On s’aperçoit très vite que nous sommes à la fois immergés et déterminés dans nos actes comme dans nos oeuvres par des métaphores. Lesquelles jouent un rôle structurel dans nos vies et nos sociétés.
Et ça ne concerne pas que l’humain puisque même les animaux sont déterminés par des processus métaphoriques.
Quand un papillon déploie ses ailes et simule l’image d’un serpent qui sert à tromper ses prédateurs, il est dans un processus métaphorique. Les phasmes et autre insectes qui ressemblent à des branches ou à des feuilles, sont dans un processus métaphorique.
C’est sans doute pour ça que l’art est si important pour les humains. L’art est l’expression d’un processus métaphorique je dirais “immanent”, presque métaphysique qui est à l’oeuvre dans tout le vivant. À travers les oeuvres d’art on perçoit l’indice de quelque chose d’autre que nous ne pouvons pas identifier clairement, qui serait une sorte, je dirais, de tropisme métaphorique. Tout ce qui sera lié, ou généré par un processus métaphorique dans le vivant sera favorisé ... je ne sais pas pourquoi mais ça nous rapproche du “Mystère”.
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