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LE ROLLING RESTARTPar Yann Minh http://www.yannminh.org pour Le Tryangle le 18/03/2013C’était en 2008 ou 2009, avec un ami Edward, nous explorions le métaverse de Second-Life à la recherche des plus beaux donjons BDSM. Edward m’avait donné le “landmark” (coordonnées virtuelles) d’un fastueux palais des mille et une nuits dérivant à très haute altitude au-dessus d’une sim (région simulée) située sur le continent principal de Mainland, et dans lequel j’avais téléporté mon avatar féminin. Ce château baroque très fréquenté par une population d’avatars d’origine surtout américaine, était tenu par une opulente chimère démoniaque et sensuelle, une maîtresse aux allures diaboliques qui menait son donjon au doigt et au fouet. Alors que je visitais le dédale des sous-sols pendant que l’orgie d’avatars sado-masochistes battait son plein au dernier étage, eut lieu ce qu’on appelle un “rolling restart”. Ce terme désigne une opération de maintenance informatique, durant laquelle étaient successivement éteints puis rallumés les centaines de serveurs qui abritent les “sims” de Second-Life. Cela se traduit, lorsqu’on est connecté, par une disparition progressive du monde virtuel. Les terrains disparaissant les uns après les autres jusqu’à ce que la vague d’extinction nous atteigne et qu’on se retrouve déconnectés pour une période pouvant parfois aller jusqu’à plusieurs heures selon la complexité de l’opération de maintenance effectuée. Mais il arrive parfois par un phénomène de “buffer” (mémoire-tampon) informatique aux effets étranges, que notre avatar ne soit pas déconnecté pendant le “Rolling Restart”. C’est ce qui m’arriva ce jour-là. Derrière les fenêtres du palais, je vis les bâtiments voisins, ainsi que les terrains à l’horizon disparaître progressivement, pour ne plus laisser place qu’à un océan infini vide de toute construction. Je suis monté dans la grande salle où se tenait la cérémonie BDSM. La foule d’avatars avait disparu, et j’étais désormais seul avec la grande prêtresse, propriétaire des lieux. Nous avons aussitôt commenté la situation, parfaitement conscients d’être victimes des effets secondaires surréalistes de l’opération de maintenance. L’étrangeté de cette situation où le hasard informatique nous avait rapprochés par cet isolement forcé, a incité mon hôte à baisser le masque du jeu de rôles BDSM cybersexuel, et à échanger avec moi des confidences sur le RL : ( la vie Réelle ). À sa requête j’ai donné mes origines françaises et le fil de la conversation m’a amené à évoquer les soirées BDSM publiques des “Nuits Élastiques”; auxquelles je participais parfois à Paris. Ce qui l’amena à me féliciter de la chance que j’avais d’avoir accès à ce genre d’événements qui étaient toujours interdits dans son état aux USA. Mais elle poursuivit en m’écrivant qu’elle n’aurait de toute façon pas pu y participer, quand bien même cela eut existé dans sa région. Et c’est ainsi qu’elle me révéla qu’en fait elle était en train de mourir d’une sclérose en plaques dans un hôpital, et que second-life était pour elle l’opportunité de pouvoir explorer en virtuel une sensualité nouvelle et à jamais inaccessible en réalité. La dimension tragique et merveilleuse de cette situation m’a amené les larmes aux yeux. Et la j’ai regretté que le dispositif ne me permette pas encore de pouvoir transmettre la sensation tactile d’une étreinte physique réel. J’ai activé la fonction “Hug” de mon avatar pour au moins simuler l’étreinte amoureuse. Je suis revenu le lendemain, mais elle avait repris la distanciation du jeu de rôles, mettant fin à cette sans doute trop puissante et vaine intimité qui nous avait liés ce jour étrange du Rolling Restart. Quelques mois plus tard je suis revenu sur les lieux, mais le palais avait disparu, augurant la fin funeste de cette belle histoire cybersexuelle. |
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