TRISTAN
Jai froid.
Un point rouge clignote dans le lointain.
Dénormes rochers dérivent doucement entre les parois du défilé, dans la faible luminescence bleue dune brume aquatique.
Mon regard est fixé sur cette fragile petite lumière rouge.
Récifs. Le mot résonne dans ma tête, il ny a plus que ce mot, qui revient éternellement et qui occupe toute ma pensée. Récifs.
Je ne sais plus qui je suis, ni pourquoi je suis accroché à cette falaise, transi de froid, à moitié nu, guettant cette ridicule petite lumière intermittente. Mes bras et mes jambes sont ankylosés. Je nai pas la force de chercher une position moins douloureuse. Mes poignets sont liés à de lourds anneaux rouillés de part et dautre de ma tête. Mes mains sont comme deux araignées bleues au bout de mes bras, inertes, je ne les sens plus, elles ne réagissent plus. Mes pieds sont attachés par des cordelettes fibreuses à des anneaux métalliques encastrés dans la pierre.
Ma vue se brouille. Des larmes coulent le long de mes joues soulageant ma souffrance. Je ne veux plus bouger. Je veux rester ici et attendre que la mort vienne doucement pendant mon sommeil.
Une érection nerveuse gonfle ma verge.
Trouant la brume, des éclats de lumière orangés accrochent les aspérités luisantes. Un souffle dair tiède venu des profondeurs caresse ma peau. Des vagues régulières de chaleur agitent lair autour de moi. Un feu brûle au fond de labîme entre mes jambes.
Une meute de dragons descend en spirale depuis les cimes, pour disparaître dans lombre bleue du défilé.
Mon désir à disparu. Une large griffure le long de ma hanche mélance douloureusement. Je tremble de froid. Mon sexe semble se rétracter pour entrer dans mon corps.
La lumière rouge a bougé.
Un sifflement strident suivit du bruit mat de plusieurs impacts.
Quatre longues tiges métalliques sont venues se ficher dans mes bras et mes cuisses, me clouant contre le schiste froid. Lexplosion de douleur me coupe le souffle. Un cri rauque commence à naître au fond de ma gorge. Je hurle. Ma voix est étouffée, éteinte par cette brume épaisse et humide qui ruisselle sur les pierres, sur ma peau, englue mes cheveux dans le sang qui suinte de mes plaies. Une nouvelle lame de douleur me tétanise. Je hurle. Les larmes voilent mon regard.
Une bourrasque écarte les volutes de brume, je distingue mieux cette petite lumière rouge clignotante. Elle nest pas aussi loin que je croyais. Elle est suspendue dans lair seulement à une dizaine de mètres. Cest une caméra sphérique qui me fixe de ses petites lentilles noires.
La boule dacier polie et luisante sapproche en un lent mouvement tournant. Un instant elle semble doubler de volume lorsque les bras mécaniques munis de scalpels se déplient de sa surface.
Je perçois cela dans une demi-conscience, lesprit entièrement accaparé par les fulgurances de la souffrance. Mon coeur me fait mal et je narrive pas à retrouver mon souffle.
Lhémisphère supérieur de la caméra portant les objectifs, sest séparé, et flotte un petit peu en arrière.
Le reste du robot a maintenant lallure dun crabe scorpion avec ses deux pinces-scalpels écartées autour dun long dard métallique. Linsecte dacier descend lentement vers mes hanches. Une brûlure froide lorsque les lames senfoncent, puis lexplosion de douleur me submerge tandis que les lames incisent et découpent, profanant mon corps dans une barbarie sexuelle qui maurait peut-être contentée si je nen avais pas été la victime.
La dernière sensation est le pal du dard me pénétrant, ultime supplice dans un chaos de souffrance.
Je menfonce dans une spirale de néant.
Je flotte dans un bien-être absolu, une sorte dorgasme immaculé ralenti, qui sétire lentement, interminablement, dans une blancheur éblouissante. Je me demande si cest la mort.
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