La nef flottait sur l'océan démonté.
Nous avions fait escale pour cause d'avarie bénigne, et nous attendions l'arrivée du remorqueur qui nous arracherait à l'attraction planétaire, pour nous relancer dans le cyberespace.
Pendant que l'équipage s'affairait à remettre en état les machines, j'ajustais les derniers réglages d'une petite sonde de ma conception, qui devait être lancée lors de notre prochaine émergence. Ma première expérience avait été efficace, elle m'avait fait découvrir des abîmes insoupçonnés dans la trame métaphorique universelle, et j'espérais beaucoup de ces nouvelles tentatives d'exploration.
Le Ephém n'avait pas l'envergure des gigantesques nefs affrétées par les guildes, et qui sillonnaient la virtualité depuis des décennies, mais c'était un navire robuste qui avait déjà fait ses preuves et damé le pion à des monstres bien plus puissants.
Son équipage avait surmonté plusieurs grains, et j'avais confiance dans Florent, le jeune capitaine audacieux qui pilotait ce magnifique bâtiment où se côtoyaient novices et vétérans.
Il avait choisi de me confier tout un programme d'exploration, et je ne voulais pas le décevoir, aussi je ciselais minutieusement les derniers nanocircuits de ma sonde.
Le naufrage me prit totalement par surprise. Mon implant grésilla, et la voix cassée de Florent résonna dans mon conduit auditif. "Yann, il faut quitter le vaisseau immédiatement, le Ephem est en perdition."
J'ai empilé les éléments épars de ma sonde dans une Fly-Case, et, dans l'éblouissement intermittent des gyrophares, j'ai couru à travers les coursives vers les soutes supérieures. J'avais sans doute été un des premiers averti, car les navigateurs embarquaient les voyageurs dans des navettes de sauvetage encore vides.
Florent, m'attendait sur le pont d'embarquement, il supervisait les manoeuvres d'évacuation avec sang-froid.
Le remorqueur attendu ne viendrait pas. Il fallait quitter le navire. La puissante guilde qui devait nous assister venaient de faire faux bond, elle-même aux prises avec un cataclysme qui secouait tout ce secteur.
Malgré la tristesse qui perçait à travers ses mots, l'assurance de Florent me redonna confiance. Je savais qu'il allait s'arranger pour limiter la casse. En quelques phrases il me confirma que ce n'était que partie remise. Il devait abandonner l'Ephem, mais il espérait bientôt pouvoir monter une nouvelle expédition.
Les guildes lui avaient proposé de prendre le commandement d'une de leurs escadres, mais il préférait garder son indépendance, et piloter son propre bâtiment. Il voulait pouvoir explorer des territoires en dehors des grands tropismes métaphoriques qui sillonnent l'hégémonie Technocratik.
À travers le hublot de poupe de la navette, j'ai regardé avec tristesse la merveilleuse nef s'engloutir dans les flots. J'étais triste de voir sombrer le navire qui m'avait fait découvrir pour la première fois la lumière des espaces intercyberaux. Mais, malgré tout, j'étais fier d'avoir pu croiser en compagnie de ces aventuriers, qui, sans hésiter, avaient transgressé les limites pour s'engager vers des confins inexplorés.
L'Ephem s'était inscrit dans la légende, et j'avais été du voyage.