Eh bien, eh bien! Moi, PatFitou, Petit Inquisiteur de l'Ordre Noir détaché aux Inspections Tansmigratoires, je déclare, Yann, que tu n'es pas un Transmigré.
La Fusion Métaphorique de la part cartésienne et de la part intuitive, que tu devrais désirer de tout ton être, oui, vers laquelle tout ton être devrait tendre, moi je n'en vois pas la moindre trace... Un Transmigré authentique est au-delà des dualités, il chante dans le Naxos et communique avec lui.
Je déplore grandement qu'après tous les efforts que tes Maîtres ont prodigués, après les longues séances pratiquées sur la plage de Shafer Xhati en leur compagnie, ton esprit ait finalement décidé de se laisser dériver vers le Morgos, vers l'assouvissement des Pulsions, Hatives et la schizophrénie.
Souviens-toi de tes leçons : Communion avec le Caillou, Noces Joyeuses du Brin d'herbe et de l'Engin Digital, et enfin Moisson Harmonieuse du Champ Informationnel... t'en souviens-tu, dis? Et te souviens-tu de ce matin où nous étions tous les deux assis sur les Roches Primordiales, face à l'océan de notre planète natale? Nous avions discuté tranquillement de notre entraînement mental, et des épreuves qui nous attendaient, à la fin du cycle.
Puis comme le soleil se levait, nous étions repartis à travers landes vers les constructions granitiques de notre monastère. Un vent froid soufflait, peut-être était-ce un flot informationnel amenant avec lui des instructions de reproduction pour les quelques plantes qui se trouvaient là: rares et maigres comme nos corps d'adolescents usés par une vie pauvre, et épuisante, faite de discipline, de méditation et de combat.
En cheminant, nous avions aperçu une silhouette penchée sur le sol: notre Maître Lisst Vor Bazass, drapé dans sa robe de bure noire avait trouvé une ruche d'abeilles Isskit. Les insectes affolés tournaient à toute vitesse autour de la construction de cire qui avait du tomber, poussée par le vent. Le bourdonnement Isskit était, comme d'habitude, un murmure à la limite de la compréhension, comme des paroles que l'on entendrait au loin sans parvenir à les comprendre tout à fait.
Mais ce matin-là, le murmure était chargé de quelque chose de plus pressant: l'angoisse, sans doute, de voir leur ruche perdue.
Lisst Vor bazass nous avait parlé pendant longtemps, la main tendue vers la ruche brisée, nous expliquant les coutumes du petit peuple Isskit, leur quête éperdue de Fluide Szk à travers les landes désolées, leurs efforts touchants pour ramener celui-ci à la communauté et continuer de bâtir la ruche.
Puis, comme le froid devenait plus mordant, il avait ramené ses mains à l'intérieur de la bure. -"Pour vous, disciples, tout ceci possède un sens. Regardez la ruche, voyez chacun de ses détails, leur agencement précis. Admirez enfin la vie qui tourne autour. La ruche est la création des abeilles, et pourtant, regardez l'affolement de ces petits insectes... qui pourrait nier que les abeilles ne sont pas aussi la création de la ruche?"
Oui, Yann Minh, tu as oublié, tu as tout oublié... la ruche est une chose, et la ruche est aussi une idée. C'est un système et c'est aussi une métaphore. C'est une machine et c'est aussi un être.
Aujourd'hui, Lisst Vor Bazass a rejoint le Naxos. il a vécu encore de nombreuses années, accédant enfin au titre de 32ème Farao Nero avant d'être honteusement assassiné par Ivrin Lichi l'Usurpateur.
Quant à moi, j'ai renoncé pour l'instant à la Transmigration. Je préfère graver des tablettes d'argile avec un stylus de bois. Parfois, quand le soir est tombé et que mes doigts sont raides et crispés par le froid de ma cellule, il m'arrive de penser à mon camarade Yann Minh, le Joyeux Disciple. Je me rappelle son insouciance, son rire fort devant les choses mystérieuses.
Je ne suis pas surpris, mais j'ai de la peine à penser que tu es devenu un réprouvé, un traître à notre tradition, un infâme disciple du Morgos... je t'imagine courant l'espace, non pas maître du désordre, mais élément de ce désordre.
Et oui, j'ai de la peine. Heureusement, tout ceci n'est qu'un rêve. Un rêve de plus, dans cette longue succession de rêves qu'on appelle la vie.
:)