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MASSACRE

J'ai réalisé que c'était dangereux d'être capturé en possession d'une arme. J'ai rentré le ventre et le revolver a glissé dans mon pantalon jusqu'aux pieds.
Tout doucement sans me faire remarquer, avec le talon j'écrasais le revolver dans le sable, j'écrasais, j'écrasais. Lorsque la patrouille française vint nous désarmer je n'avais rien sur moi, je n'avais pas le revolver, je n'avais pas de balles, je n'avais rien du tout, contrairement à mes camarades qui eux avaient leur arme dans un étui à la ceinture.

Par malchance, nous étions tombés sur la milice coloniale. Cette milice accompagnait toujours les soldats venant de France qui portaient l'écusson Rhin et Danube.
La milice coloniale était épouvantablement haineuse et raciste. Ils avaient été faits prisonniers par les japonais, et mettaient tous les jaunes dans le même sac. Ils ne nous pardonnaient pas d'avoir profité, de leur emprisonnement par les japonais, pour demander notre autonomie, notre indépendance.

Ils ont commencé par nous tabasser, puis après nous avoir donné des tas de coups de crosses, ils ont dit à l'un d'entre nous: «tu peux foutre le camp!»
Il s'est enfuit en courant, mais il n'avait pas fait cinquante mètres, qu'ils l'ont abattu d'une rafale de mitraillette, son corps est tombé dans le fleuve.

Nous nous taisions tous. Nous savions que nous allions être tués les uns après les autres.
Au deuxième, ils ont demandé:
«où est ce qu'ils habitent tes parents?»
On nous avait donné la consigne de ne pas parler français, alors il n'a pas répondu, en sachant qu'il allait être tué. Il a marché à reculons en regardant les soldats. Ce fut pareil, une deuxième rafale...
J'étais blême de terreur, je ne disais rien. J'essayais d'être le dernier, au moins le dernier, je tremblais, je n'avais plus de voix. Je me suis dit que ce n'était pas possible de mourir à seize ans. C'est à ce moment-là, que la mort a pris une dimension effroyable. Avant je n'avais aucune idée de ce que pouvait être la mort.

Ils les ont tous tués, un par un.
Lorsque ce fut mon tour, j'ai balbutié en français:
«j'aimerai bien avoir un prêtre»
Un des miliciens s'est exclamé:
«salaud tu parles français toi!»
«Où t'as fait tes études?»
«J'ai fait mes études à Tabert, institution Tabert, chez les frères des écoles chrétiennes»

Les enfants des grandes familles vietnamiennes faisaient leurs études dans les institutions Françaises, avec les enfants des colons.
Comme le milicien avait probablement eu la même formation que moi, il hésita, il y eu un petit flottement parmi les soldats, et puis l'un d'eux a dit:
«bon on va voir»
Ils m'ont ramené pieds et poings liés, allongé par terre à l'arrière d'une Jeep, entre leurs pieds.

Au quartier général, pour éviter que je ne m'enfuis, ils m'ont lié à un poteau. J'étais sur la pointe des pieds, et devant moi ils ont planté une espèce de... Je ne sais plus...Je ne crois pas que c'était un fusil, plutôt un bâton avec une baïonnette dont la pointe m'arrivait sous le menton. Comme j'étais sur la pointe des pieds, si je baissais la tête, je me transperçais littéralement le menton.
Je suis resté comme ça sous le soleil, pendant une éternité.
De temps à autre, un milicien, ou un soldat, je ne sais plus, passait en suçant un cube de glace. Par pitié, il le sortait de sa bouche et me le donnait à sucer.
J'avais été capturé vers huit heure du matin, et je suis resté comme ça jusqu'à six heure du soir, jusqu'à ce qu'ils décident de me faire passer devant un tribunal militaire près de Saigon.

 

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