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Qu'est ce que la Science-Fiction ? : Un monstre noosphérique.


Proposition de définition noosphérique et cybernetique de la Science-Fiction.



Remise en forme textuelle d'une intervention pédagogique effectuée au festival de Science-Fiction des Utopiales 2004 à Nantes pour une classe d'élèves de lycée du professeur de philosophie Nathalie Labrousse. Message posté sur la "Mailing list" de Science-Fiction de Jean Louis Trudel le 24 Novembre 2004.




Pour expliquer, décrire ou formaliser une grande part de ce qu'est la Science-Fiction, on peut remplacer les mots de "science et fiction" par les mots d' "outil et simulation".
Et d'un point de vue inspiré par la mémétique, on peut aussi définir la SF comme une sorte de monstre noosphérique : une entité informationnelle très ancienne qui, en chevauchant nos media, s'est perpétuée et a grandi.


On a coutume d'associer systématiquement les origines de la SF à la seule littérature, en oubliant qu'elle a toujours été accompagnée d'images.

Nous devons inverser notre point de vue : La SF n'est pas générée par la littérature, au contraire, c'est la SF qui génère de la littérature, et bien d'autres choses encore.

La SF utilise la littérature comme vecteur de propagation, comme elle a utilisé l'image, comme elle a utilisé le cinéma, la musique électronique, maintenant les jeux vidéo et plus tard les systèmes d'immersion virtuels

En effet, d'un point de vue cybernétique la SF s'inscrit dans un tropisme cognitif humain fondamental : "la simulation".

Pour assurer sa survie, l'homme passe son temps à se projeter dans le futur, en extrapolant les événements à venir à partir de ce que l'expérience passée lui permet de déduire.

En cela la cybernétique et la SF rejoignent la définition de la conscience par Bergson :
A chaque instant notre esprit se projette dans le futur, de façon consciente ou subconsciente.
-Ainsi, alors même que vous me lisez, une part de votre sub-conscience a déjà élaboré une logistique anticipant les événements simples et prévisibles qui vont se dérouler dans votre vie dans les minutes/heures qui viennent.

Cette spéculation permanente sur le futur peut être : à cours terme - extrapolée sur quelques minutes - ou à long terme - voir à très long terme, sur des siècles ou des millénaires.
Ainsi un historien, ou un scientifique, à partir de la connaissance d'un passé lointain peut extrapoler des futurs éloignés.

En plus des algorithmes fondamentaux de la systémique, la cybernétique nous propose une définition de l'homme :
-D'un point de vue cybernétique, ce qui nous caractériserait, ce n'est pas la marche debout, ce n'est pas la conscience de soi (les grands singes, et les éléphants l'ont), ce n'est pas notre main ni notre pouce, ou l'utilisation d'outils: ce qui nous caractériserait c'est notre capacité à traiter massivement de l'information complexe.

Physiquement l'humain est bien moins adapté à survivre dans son environnement que la plupart des grands prédateurs. Le requin, le tigre sont bien mieux adaptés que l'homme à leur environnement. Ce qui permet à l'humain d'assurer d'une part sa survie, d'autre part sa suprématie sur les autres espèces animales, voir sur la planète entière, c'est sa capacité à traiter de l'information complexe.

C'est cette capacité très spécifique de notre cerveau, qui permet d'élaborer des stratégies, les logistiques communes à court et à très long terme, et en particulier, outre des choses fondamentales comme le langage, de simuler notre futur lointain et proche par extrapolation de notre passé.

Un humain seul dans la jungle a très peu de chances de survivre, dix humains organisés et éduqués par des siècles de transmission du savoir sont les prédateurs les plus dangereux de cette jungle.

Pour assurer sa survie, l'humain passe son temps à simuler. À simuler de façon virtuelle le futur, afin d'anticiper les événements qui pourraient mettre en péril sa survie.
Pour ce faire, nous avons inventé la science et ses outils, et de ce fait, nous avons aussi donné naissance à la SF.
La SF est l'expression ludique, jubilatoire de ce processus spéculatif fondamental. Et elle existe depuis des temps bien plus anciens que ceux qui ont vu naître Jules Verne.

Ainsi, lorsque l'humain invente des outils, une part de son esprit va toujours spéculer, fantasmer, extrapoler ce que cet outil pourrait donner si on lui conférait plus de pouvoirs, de fonctions, de capacités. Nous allons imaginer ce qu'il se passerait si l'épée qu'on vient de forger était indestructible. Nous allons imaginer des tapis ou des chariots volants, des arcs qui ne ratent jamais leurs cibles.

Ainsi, pour moi et vu sous cet angle, la différence entre Heroïc Fantasy et SF, c'est que dans l'Héroïc-Fantasy, les fonctionnalités conférées aux outils dans nos spéculations imaginaires, sont produites par la magie ou par les dieux, alors qu'en SF, elles sont expliquées par une "pseudo-science" qui d'ailleurs joue le même rôle pour le public, que jouait la magie ou le divin dans l'antiquité.

Dans l'Iliade, Héphaistos, le dieu grec de la technologie, a forgé pour l'assister deux femmes en or qui (précise le texte), sont équipées d'un diaphragme qui leur permet de parler. (la précision technique de l'existence d'un "diaphragme" fait de ce texte un précurseur de la SF contemporaine, c'est en quelque sorte la hard-science de l'époque).

Héphaïstos a également forgé des trépieds à roulettes, qui, tels des transdockers automatisés, vont livrer les armes sortant de sa forge aux dieux de l'Olympe.

Longtemps avant la rédaction de l'Iliade, les premiers conteurs mésopotamiens décrivent des armes aux pouvoirs fabuleux, ou des archétypes de la science-fiction cyberpunk contemporaine comme "le manteau d'invisibilité de Mardouk". (cf : Les plus anciens contes de l'humanité. Gaster T.H. ed Payot 1999.

La spéculation prospective sur nos outils s'inscrit dans une continuité historique. De nos jours, la SF imagine ce qu'il se passerait si nos vaisseaux pouvaient dépasser la vitesse de la lumière - si nous arrivions à fabriquer des machines à voyager dans le temps - si nos armes ravageaient la planète - si nos "calculatrices" devenaient intelligentes ou capables de se reproduire.

C'est pour cela que je pense qu'on peut décrire ou formaliser une grande part de ce qu'est la Science-Fiction, en remplaçant les mots de "Science et fiction" par les mots d' "Outil et Simulation".

Mais c'est bien plus encore, car la SF est aussi ce que j'appelle une "entité noosphérique".

Du fait qu'elle prend ses origines dans les bases mêmes de notre système cognitif, la SF est quelque chose d'encore plus complexe qu'il ne parait : c'est un monstre noosphérique, une entité informationnelle de plus en plus gigantesque, qui évolue dans la noosphère, la sphère de la spiritualité. (d'un point de vue mystique, métaphysique ou rationnel athée, les trois fonctionnent)

La SF n'est pas générée par la littérature, ou l'illustration ou quelque autre vecteur de transmission horizontal de notre psyché, au contraire, la SF se sert de ces vecteurs informationnels pour se propager.

Elle existe en amont de ses vecteurs de propagation.

Elle prend appui sur nos media, pour se propager et se complexifier.

Ph.K.Dick, un grand auteur de SF utilisait le terme de Plasme dans son roman SIVA, pour décrire une entité informationnelle se propageant par l'intermédiaire des media humains, en particulier l'écriture. Actuellement, on pourrait s'inspirer de la terminologie d'une nouvelle science : la mémétique, propagée par l'éthologue et biologiste anglais Richard Dawkins, pour définir la SF comme étant un "Meme". Et je dirais que c'est un Meme particulièrement virulant et puissant.

Jacques Sadoul dans son histoire de la Science-Fiction, attribue l'effondrement quantitatif du lectorat de SF à la concrétisation de la conquête spatiale, avec une année clef, (qui est aussi celle de ma naissance ;-): l'envoi du satellite Spoutnik. Pour lui et pas mal de chroniqueurs de la SF, le lectorat se serait désintéressé des romans de SF du fait que le voyage dans l'espace était devenu possible et s'avérait beaucoup moins drôle que prévu, ( pas de soucoupes volantes, pas de petits bonhommes verts qui kidnappent les jolies filles, pas d'empires stellaires).

Non, je pense plutôt que les pulps de SF ont vu leurs ventes baisser à l'époque, tout simplement parce que la SF avait changé de support médiatique pour se propager.

En effet, grâce à l'évolution et la propagation des techniques de communication, le dragon noosphérique s'est vu pousser des ailes supplémentaires, plus grandes, plus puissantes ... Plus "populaires" :

Jusqu'au 19 me siècle, la SF a utilisé le conte, le théâtre, la littérature et l'illustration comme principaux vecteurs de propagation, tant que ces media étaient les seuls media de masse disponibles.

Dès que des nouveaux média de masse sont apparus, la SF s'est "déplacée", "adaptée" pour pouvoir se propager sur ces nouveaux media qu'étaient le cinéma, la télévision, maintenant les jeux vidéo, et demain les systèmes d'immersion virtuels.











Version humoristique

Version humoristique et raccourcie de cette spéculation (refusée par le projet d'encyclopédie de l'imaginaire initié par Jacques Goimard. )

Cybernétique et simulation immersive

Science-Fiction = outil-simulation.

Nombreux sont ceux qui s’interrogent sur ce qu’est ce champ noosphérique particulier que les humains appellent la Science-Fiction. Après m’être immergé quelques temps dans leur étrange civilisation, je me permet de vous proposer une explication.

La SF résulte d’un tropisme cognitif humain fondamental, "la simulation", qui est elle même la conséquence d’une autre spécificité humaine plus structurelle : La capacité à traiter de l’information complexe.

Comme vous avez pu le constater : physiquement l'humain est bien moins adapté à survivre dans son environnement que la plupart des grands prédateurs connus dans la galaxie. Ce qui permet à cette entité particulièrement fragile vivant sur la planète terre, d'assurer sa survie ainsi qu’une partie de sa suprématie sur les autres espèces et ses propres congénères, c'est qu’elle est équipée d’un système cognitif lui permettant de traiter de l’information à un très haut niveau de complexité, et cela à grande vitesse. Cette capacité à traiter de l’information complexe permet (entre autre) à l’humain de simuler en permanence son futur lointain et proche par extrapolation de son passé immédiat ou éloigné.

Tous ceux qui ont croisé des humains un jour se rappellent de ce bruit de fond cognitif caractéristique qui les accompagne en permanence : tel un ruminant spirituel, l’humain passe son temps a se projeter dans le futur, en extrapolant les événements à venir à partir de ce que l'expérience immédiate ou passée lui a enseigné. Processus cognitif que le philosophe humain Bergson a appelé “conscience”.

Cette spéculation permanente sur le futur, peut être chez les humains une extrapolation à cours terme, sur quelques minutes, ou une extrapolation à long terme, voir à très long terme, sur des siècles ou des millénaires, ainsi un historien, ou un scientifique humain, à partir de la connaissance d'un passé lointain peut extrapoler des futurs éloignés.

Ce besoin incoercible de la conscience humaine à anticiper sa destinée et celle des autres et du réel, par simulation cognitive, a donné naissance à des outils cognitifs spécifiques comme “la science”, qui permet d’optimiser avec un très haut niveau de pertinence et de fiabilité ces spéculations vitales, mais il a aussi généré ce champ noosphérique particulier qui intrigue tant : la Science-Fiction, qui n’est que l'expression noosphérique ludique et jubilatoire des processus de simulation cognitifs propres à la conscience humaine.

Ainsi, lorsque l'humain invente des outils amplificateurs de ses fonctions physiques ou cognitives, stimulé par le plaisir de la simulation prospective, une part de son esprit va systématiquement spéculer ce que cet outil pourrait donner si on s’affranchissait des contraintes de faisabilité réelles.

L’humain va extrapoler ce qu'il se passerait si l'épée qu’il vient de forger était indestructible, il va imaginer des tapis ou des chariots volants, des arcs qui ne ratent jamais leurs cibles. Il va spéculer ce qu'il se passerait si les véhicules humains pouvaient dépasser la vitesse de la lumière, s’ils arrivaient à fabriquer des machines à voyager dans le temps, si leurs armes avaient la capacité de ravager la planète ou la galaxie, si leurs calculatrices devenaient intelligentes ou capables de se reproduire.

En résumé, chers collègues noonautes, pour comprendre le rôle de la SF chez les humains il vous suffit de remplacer les mots de Science et de Fiction par les mots d’Outils et de Simulation.

Yann Minh. NooEthnologue. Conférence au congrès de noonautique intergalactique.






Historique de la réflexion


Ces textes sont une remise en forme littéraire d'une intervention pédagogique orale effectuée au festival de Science-Fiction des Utopiales 2004 de Nantes pour une classe d'élèves de lycée du professeur de philosophie Nathalie Labrousse. Remise en forme postée sur la Mailing list de Science-Fiction francophone de Jean Louis Trudel "SFFranco" le 24 Novembre 2004.




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